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18/04/2015

"Histoire de Judas" : un film-symptôme

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...qui reflète les mécanismes mentaux de notre société : 


 

Sorti en France le 8 avril, le film Histoire de Judas (du réalisateur franco-algérien Rabah Ameur-Zaïmeche) a reçu le « prix oecuménique » du festival de Berlin en février. Le mot « oecuménique » est, là, vide de sens. En soi il voulait dire « convergence kérygmatique des diverses confessions chrétiennes ». Très vite, les médias en ont fait le synonyme de « no man's land entre toutes les religions » (et implicitement, de « substitut aux religions »). Ce qui se substitue ainsi aux religions est leur « déconstruction », comme disent les chroniqueurs bobos. Déconstruire les religions ? mais en fonction de quoi ? de l'exégèse historico-critique ? non : en fonction de nos subjectivités formatées par la société actuelle ; autant dire en fonction de n'importe quoi... C'est l'indémontrable axiome charbien (note ici du 16/04) selon laquelle les religions en tant que telles doivent être combattues : axiome en voie de devenir officiel, pour des raisons complexes dont nous reparlerons.  

Revenons au film sur Judas. Primé à Berlin, il enthousiasme Le Figaro (« magnifique », « les yeux du coeur ») et l'un des deux critiques de Télérama (ce film « démythifie » l'Evangile). Mais l'autre critique de Télérama boude :  

<<  On perçoit mal le but de ce film étrange. Célébrer la bienveillance humaine de Jésus ? Même en cette période de contestation générale, c'est une évidence. Réhabiliter Judas ? La démarche est plus intéressante, même si pas nouvelle : Renan a commencé au XIXe siècle, François Mauriac a suivi, au début du XXe, avec Vie de Jésus, et Jean Ferniot s'est quasiment livré à une béatification, dans les années 1980, avec son Saint Judas... Problème : chez Rabah Ameur-Zaïmeche, Judas est un fantôme. Ni coupable, ni innocent : absent. Pas là, lors de la Cène, pas là au moment de la Crucifixion. Complètement out... Tout désigné, donc, selon le cinéaste (les absents ont toujours tort, n'est-ce pas), pour devenir le symbole de l'antisémitisme durant les siècles des siècles. Thèse un peu simplette... >> 

 

Mais le vrai démontage du film est opéré par le P. Dupont-Fauville (Paris Notre-Dame, 16/04) : 

<< Qui est le traître ? Axiome numéro 1 : Judas est le gentil ; c'est lui, bien sûr, qui a souffert pour Jésus. Axiome numéro 2 : les Evangiles racontent n'importe quoi ; c'est normal, ils sont partisans. Il importe donc au réalisateur, muni de ses convictions et de sa grâce propres, de restituer la vérité et, au passage, d'expliquer la falsification. >> 

Constat du P. Dupont-Fauville : 

« Les scènes de l'Evangile sont là, mais retournées, subverties, inversées » (NDPP : inversées en fonction de nos préjugés de 2015)  

« Toute référence aux croyances juives est évitée »  

« Le Christ est réduit à un maître éthéré, dépassé par ses propres pouvoirs et trop rigide pour échapper au sort que la générosité de Judas, prêt à donner sa vie pour lui, voudrait lui éviter »  

« Cette démarche d'inversion finit par se retourner contre elle-même, sur la forme et sur le fond. La scène de la purification du Temple fait ainsi éclater la contradiction entre le prétendu souci du détail matériel et la négation de la lettre des Evangiles. Alors que déjà les Pères de l'Eglise remarquaient que le Christ prend soin de dire aux marchands de colombes de retirer eux-mêmes leurs cages pour ne pas les léser, nous assistons ici au bris systématique de ces cages par les disciples déchaînés, pour aboutir à un plan de débris amoncelés... » 

« Le bon Judas mourra assassiné par un juif qui prétend noter par écrit les paroles du rabbi et dont il brûle les manuscrits avec l'accord de Jésus (“ce que tu as à faire, fais-le vite !”) »  

« Le dialogue avec Pilate met en exergue la contradiction entre le souci du vivre-ensemble [Pilate]... et l'irresponsabilité narcissique de celui qui veut porter jusqu'au bout un message religieux en confondant la vérité avec ses dons de thaumaturge »  

« Quel public pourra se retrouver dans un tel amoncellement de parti-pris ? D'abord ceux qui sont persuadés que les juifs sont des fanatiques, les chrétiens des falsificateurs... Ensuite, ceux qui ont le souci d'un espace public où tout propos religieux serait relativisé, ramené à l'expression risible de projections plus ou moins immatures... L'actualité d'une telle position est évidente. » 

 

Non seulement le réalisateur déforme les épisodes de l'Evangile pour leur faire dire le contraire de ce qu'ils disent, mais il montre Jésus poussant Judas à brûler les notes  : scène totalement fictive et dans l'axe de la pensée-zéro en la matière (celle de Prieur et Mordillat en 1997-2003). Jésus chargeant Judas « d'éliminer tout témoignage écrit », et ainsi disqualifiant d'avance les quatre évangiles, c'est ce que le pieux Figaro nous présente comme une « imagination artistique rejoignant les compositions que les auteurs spirituels comme Ignace de Loyola recommandent pour nous rendre présents aux épisodes de la vie terrestre du Christ »... Un chroniqueur de ce journal expliquait récemment que le renouveau du catholicisme français consiste à défiler-pour-défendre-nos-valeurs ; ce qui n'a (en effet) pas grand-chose à voir avec Matthieu, Marc, Luc et Jean, dont Charles Maurras déconseillait déjà la lecture aux bien-pensants.

 

Commentaires

« prix oecuménique »

> D'après WIKIpedia "Le jury est composé de chrétiens engagés dans le monde du cinéma (journalistes, réalisateurs, enseignants). Ce jury est mis en place chaque année par les associations internationales Signis et Interfilm."
Il s'agirait donc bien d'un jury œcuménique au sens chrétien, non ?
Le personnage de Judas fait partie du côté non-bisounours du Nouveau Testament qui choque la délicate sensibilité de nos contemporains. Alors on voudrait le réhabiliter.
Le père Raniero Cantalamessa nous a génialement remis le nez dans la dure réalité lors de son homélie de l'Office de la Passion à Rome en 2014 :
http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/direct-de-rome-office-de-la-passion-du-seigneur/00084679

Guadet


[ PP à Guadet :
- Il n'y a pas beaucoup de "bisounours" dans la dramatique divine du NT !
- Je ne m'immisce pas dans le for interne des membres du jury. Je ne fais que constater une donnée objective : couronner un film pareil du mot "œcuménique", vide l'œcuménisme de son sens chrétien.
- Je ne veux pas dire qu'un jhury poecuménique au sens chrétien ne devrait couronner que des œuvres sulpiciennes. La 'Passion' de Pasolini est un film chrétien. Le 'Judas' couronné ici n'en est pas un. S'il n'est pas chrétien, il n'est pas œcuménique.
- Si le jury changeait son intitulé et se rebaptisait " prix du 'film parareligieux' " (ce qui lui correspondrait bien) on n'aurait plus de réserves à exprimer à son sujet... ]

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Écrit par : Guadet / | 18/04/2015

LAUDATEURS

> ... Donc les critiques laudatives de ce film sont le fait d'athées pieux ? Je pige pas.

Benoît


[ PP à B.
- Mais si, vous avez pigé !
- Louer un film qui fait dire à l'Evangile autre chose que ce qu'il dit, montre (de la part du laudateur) une indifférence envers le contenu de l'Evangile.
- Quand ce laudateur est "catho de droite", son point de vue est celui de la défense-des-valeurs, qui a peu à voir avec l'Evangile.
- Quand le laudateur est "catho de gauche", son point de vue est celui de la promotion-des-nouvelles-valeurs-d'aujourd'hui, qui n'ont, elles non plus, pas grand-chose à voir avec l'Evangile.
- Dans les deux cas, on a affaire à des gens qui appellent "christianisme" leurs opinions de milieu. Il faut prier pour leur conversion. ]

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Écrit par : Benoît / | 18/04/2015

"DITHYRAMBIQUE"

> J'avais presqu'envie d'aller voir ce film après avoir écouté une critique dithyrambique sur Fréquence protestante la semaine dernière.
J'attendais d'avoir lu d'autres critiques qui l'équilibreraient.
C'est chose faite. Merci de m'avoir épargné une crise de colère !

Florence de Baudus

[ PP à FB - Chez les catholiques comme chez les protestants, certains ont perdu toute liberté d'esprit par rapport à la "culture contemporaine" - ou plutôt à l'une de ses fractions, sous-produit de l'idéologie dominante. La culture de marché, reflet de la société de marché, postule :
1. le relativisme (tout se vaut si ça se vend) ;
2. la "déconstruction" : rien ne vaut si je n'ai pas l'impression que ça vient de moi ; impression d'ailleurs fausse, puisqu'elle m'est soufflée par le marketing omniprésent. ]

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Écrit par : Florence de Baudus / | 19/04/2015

@ PP

> "Il n'y a pas beaucoup de "bisounours" dans la dramatique divine du NT
Nous sommes bien d'accord. Mais il faut savoir qu'une part importante de la population, quoique non hostile a priori, s'égare complètement en voyant dans Jésus un baba-cool rêveur. Elle aimerait qu'on lui raconte une histoire bisounours ; et elle finit par reprendre la vieille accusation "Jésus c'est très bien mais les évangélistes et l'Église n'ont rien compris", ce qui semble le cas du film d'après votre article. C'est ce que je voulais dire mais je n'ai pas su me faire comprendre.
Je lisais récemment un article sur la pensée de René Girard, article parlant à un moment de "l’Évangile et sa morale naïve de la non violence" (http://www.les-crises.fr/le-bouc-emissaire-par-rene-girard/). La formule m'a amusé et choqué en même temps : ça va dans le même sens que ce que vous dénoncez. Nous sommes dans une époque où c'est avec les meilleures intentions du monde qu'on fait le boulot de Satan. Des chrétiens comme ceux du jury œcuménique s'y laissent prendre, sans doute.
______

Écrit par : Guadet / | 19/04/2015

VIEILLES LUNES

> Comme d'habitude, on prend des vieilles lunes et on les recycle pour en faire le dernier scoop... En gros, quelles que soient les idées sur le Christ, sa réalité, son action, son message, ses disciples... aucune thèse vraiment neuve n'a été avancée depuis au moins deux siècles -pour être gentil- sinon deux millénaires -pour être plus proche de la réalité.
C'est vraiment agaçant de voir ceux qui imaginent, à chacun de ces coups médiatiques, qu'ils "apprennent des trucs", comme me disait un copain fan de Dan Brown.
Combattre ces idioties -avec des arguments valables bien sûr, sans oublier la prière- est immédiatement taxé de parti-pris : "Bien sûr, toi, tu es catho...
Et puis si la réaction est si forte, c'est bien qu'il y a là un point qui fait mal : il n'y a pas de fumée sans feu..." et autres idées toutes faites à la graisse de tracteur.
Il ne faut pas remplacer la vérité par l'imaginaire, comme ne se prive apparemment pas de le faire notre auteur qui n'est ni œcuménique, ni même "interreligieux". Et en matière d'Evangile, il y a beaucoup moins de place pour l'imaginaire qu'on ne le croit habituellement.
Ce n'est que très récemment que j'ai compris en quoi Dieu était un véritable "Dieu Jaloux" comme Il l'a lui-même révélé au Sinaï : quoi de plus jaloux que la vérité ? Elle ne peut supporter qu'on la mêle avec tout ce qui ne vient pas d'elle. C'est ce mélange d'ailleurs, qui donne les mensonges les plus nocifs.
Et puis, "les chrétiens ont falsifié leurs écrits", ça ne vous dit rien ?
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Écrit par : Fernand Naudin / | 19/04/2015

BOULGAKOV

> J'ai été très surprise de trouver dans ce film foutraque qui m'a déplu par ses raccourcis absurdes et ses inversions systématiques de tons, de "rôles", de sens, etc (facile et simplet de "faire original" en prenant le contrepied de ce qui fait référence depuis toujours pour la culture et pour la foi...), de trouver, donc, à la fin, la "clé" cachée.
Elle apparaît clairement dans le face à face entre Jésus et Pilate; c'est un emprunt aussi indubitable que masqué (puisque je ne l'ai vu cité nulle part dans le générique) à "Le Maître et Marguerite" de Boulgakov, livre très remarquable que je connais bien et qui présente (entre autres fils narratifs car sa composition est complexe) l'histoire de Jésus revue et corrigée, avec Judas et Pilate en interlocuteurs privilégiés, dans une subversion parfaitement maîtrisée, celle-là.
La scène de l'atroce mal de tête de Pilate, qui l'empêche de penser, suivie du miracle de Jésus guérisseur de migraines, l'allusion au chien qui lui manque et est effectivement la seule créature qu'aime le procurateur avant de rencontrer Jésus, tout y est (cf p.82-83 de l'édition Laffont "Pavillons Poche"). Y compris le confident romain qui est l'exécuteur des oeuvres de Pilate (Afranius dans le roman, Menenius dans le film)...
Alors s'éclaire l'image que le réalisateur a voulu donner de Jésus: elle est identique à celle de Boulgakov, comme les rôles de Pilate (séduit, déconcerté et obsédé par cet homme, surnommé Ha-Nozri, le Nazaréen, qui est peut-être Dieu), et Judas (l'ami désespéré).
Mais combien l'oeuvre de Boulgakov, dans les quelques chapitres qui concernent cette histoire, est plus riche, plus profonde, plus émouvante, et plus... originale !
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Écrit par : Simone Grava-Jouve / | 19/04/2015

GIRARD

> L'expression de "morale naïve de la non violence" n'est pas de René Girard mais du rédacteur du site que vous indiquez. N'importe quel livre de Girard montre qu'il ne considère pas cette morale comme naïve. En revanche, il souligne qu'elle est entièrement neuve, choquante et irrationnelle du point de vue de l'organisation très rationnelle des religions traditionnelles qui n'ont pour fonction, d'après lui, que de faire oublier l'origine violente de la société, tout en en faisant inconsciemment mémoire et purger ainsi régulièrement la violence interne à toute société. RG a déclaré à propos du christianisme s'être converti pour raisons scientifiques. C'est une des causes de l'ostracisme universitaire dont il est la victime. Mais je ne suis pas anthropologue, et me garderai donc d'émettre un jugement sur la nouveauté véritable de sa thèse, et sur sa scientificité.
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Écrit par : Maud / | 20/04/2015

NON-VIOLENCE CHRÉTIENNE

> La non-violence chrétienne s'inscrit dans une dynamique de conversion
et de purification du coeur. Ceci l'esprit séculier ne peut le comprendre.
Elle est un équivalent de patience dans l'épreuve : Ne pas rendre le mal pour le mal,
mais toujours faire le bien. Aimer ses ennemis, prier pour ceux qui nous persécutent,
en croyant que tout est dans la main de Dieu, qui peut faire sortir du mal un bien supérieur.
A partir du moment où ils ne croient pas en Dieu et placent l'homme au centre de tout,
lui accordant une infaillibilité intellectuelle, ils s'efforcent d'adapter la vérité à leur vision étriquée.
Ils inventent des théories qu'ils appellent révolutionnaires, bien qu'elles soient plutôt folles.
La vérité des Evangiles est trop simple pour eux, elle ne suffit pas à justifier leur soi-disant "droiture".
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Écrit par : Pantaléon / | 20/04/2015

GNOSTIQUES

> Saint Judas ? Voir aussi "l'évangile de Judas", apocryphe gnostique découvert en 2006 en Egypte. Judas est le disciple préféré à qui il incombe de délivrer Jésus de son enveloppe charnelle.

PH


[ PP à PH :
- Absolument. Et en précisant que "l'évangile de Judas" est très postérieur aux quatre évangiles canoniques - et farci d'interpolations qui signent son origine idéologique : la Gnose au nom menteur, comme dit Irénée de Lyon.
- Mais le rôle de la chronologie en histoire peut difficilement être expliqué à des gens de 2015 qui n'ont pas appris la chronologie à l'école, et croient qu'hier n'était qu'une préface à leur bel aujourd'hui. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 20/04/2015

CE QUE DIT LE RÉALISATEUR

> L'entretien reproduit dans le dossier de presse (http://www.potemkine.fr/media/client/pdf/4pA5-HDJ.pdf) est assez parlant quant aux intentions du réalisateur.

- Sur Jésus :
« C'est un rabbin, c'est-à-dire un maître, quelqu'un qui connaît les textes sacrés par cœur, qui aide et guide les siens. Seule la connaissance l'intéresse et il veut la vivre pleinement, au présent. C'est sans doute ce qui le distingue, et c'est pourquoi il refuse qu'on inscrive ses faits et gestes, ce qu'il dit, sur la pierre ou sur les parchemins. Il se défie de la parole qu'on fige, et qui deviendra forcément un dogme, un outil de pouvoir, un instrument de domination et de soumission. »
Rabah Ameur-Zaïmeche ne prononce pas le mot "pharisien", mais sa description y ressemble furieusement.
Dès lors, si son Jésus "refuse qu'on inscrive ses faits et ses gestes", il ne se distingue en rien du reste des rabbis de l'époque à qui il ne serait jamais venu à l'idée de coucher par écrit la Torah orale – du moins pas avant le IIe siècle, quand les circonstances les contraindront à s'y résoudre.
Je ne suis pas certain toutefois que l'auteur ait poussé à ce point la réflexion ; on se situe plutôt dans le relativisme contemporain le plus ordinaire.
Que le réalisateur non-chrétien y souscrive est de peu d'importance ; après tout, c'est sa liberté d'artiste (lui du moins nous épargne les projections d'excréments).
En revanche, on est beaucoup plus gêné quand le critique de 'La Croix' reprend sans distance et sans sourciller ses propos sur « ces "paroles d'Évangiles" qui aboutissent à une vision dogmatique du monde. Et empêchent de le réinventer. »

- Sur le "héros" du film :
« Quant à Judas, il est la figure héroïque impeccable qui tend au sublime de l'action. Enraciné à sa terre de Judée, il apparaît en pleine lumière comme un disciple loyal, bien-aimé et détenteur des secrets spirituels de son maître. Initié par excellence, il est le gardien de ses paroles inspirées et vivantes. »
"Détenteur des secrets", "initié par excellence", "gardien des paroles"... M. Ameur-Zaïmeche ferait-il de la gnose sans le savoir ?
« À mes yeux, ce prénom [Judas] est le plus beau du monde. Il veut dire littéralement je suis juif, je suis l'autre. »
Non, il veut dire littéralement "Il [YHWH] sera loué" (Gn 29,35). Mais on rejoint ici la thèse d'un Judas archétype du juif honni et qu'on persécutera injustement les siècles suivants. De fait :
« J'ai toujours trouvé étrange et inquiétant qu'on ait eu besoin d'une idée aussi brutale que cette trahison minable pour expliquer comment Jésus a été saisi. »
« Judas a été trop longtemps la figure emblématique de cet antisémitisme qui allait croître au fil des siècles. Et il est grand temps à présent qu'il cesse de cristalliser la haine des Juifs. Sa réhabilitation me semble plus que nécessaire, elle est urgente. »
Il n'est certes pas interdit de trouver peu convaincantes les motivations bassement vénales que l'évangile de Jean prête à Judas, ni d'en chercher de plus crédibles – les exégètes comme les scénaristes ne s'en sont pas privé. Par ailleurs, que la haine antisémite ait pu en partie se cristalliser sur le personnage de Judas, nul n'en disconviendra. Mais prétendre abolir cette haine en "réhabilitant" le traître, c'est du même acabit que vouloir à tout prix nier la séquence du procès devant le Sanhédrin, voire la présenter comme une tentative de sauver Jésus des griffes des Romains, qui seraient apparemment les seuls à vouloir sa peau.
On l'a bien vu avec la "Passion" de Gibson, que certains ont étiqueté "antisémite" dès lors qu'on pouvait y voir des juifs "méchants" (et peu importe la présence de juifs "gentils" y compris au Sanhédrin). Or un vrai dialogue judéo-chrétien constructif ne peut se bâtir sur un tel déni des textes.

- Sur les sources d'inspiration enfin :
« Cependant la séquence du tombeau vide avec Judas à la fin est directement inspirée du Christ au tombeau de Holbein. Parmi les sources littéraires qui nous ont servi le plus directement se trouvent Ponce Pilate de Roger Caillois, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, auquel on a emprunté les répliques du procès de Jésus, et puis Erri De Luca, de manière moins littérale. Nous avons également lu avec beaucoup d'admiration Jésus de Nazareth, le scénario que Dreyer a essayé en vain de tourner durant des dizaines d'années. »
Ce qui confirme l'analyse de Simone Grava-Jouve dans un commentaire précédent.
Au fond est-ce bien différent du film de Scorsese (avec ce "sublime" Judas assénant à Jésus sur son lit de mort : "Tu m'as trahi !") ? Et encore, son Messie versatile sauvait quand même les meubles à la fin...
Une fois de plus, il n'est pas question d'empêcher Ameur-Zaïmeche de nous livrer sa "fanfiction" de Jésus et Judas. Le problème, comme vous l'avez souligné, est le label "œcuménique" (et donc implicitement "chrétien") qui lui est décerné. On notera au passage qu'il est donné dans la section secondaire "Forum" de la Berlinale, une sorte de catégorie fourre-tout expérimental/documentaire/espoirs – pour la sélection officielle, le lauréat du "vrai" Prix œcuménique est Patricio Guzmán pour "El botón de nácar". Le commentaire officiel n'en est pas moins consternant :
"L'histoire intemporelle de la vie de Jésus est racontée du point de vue de Judas, ce disciple qu'on présente traditionnellement comme celui ayant trahi Jésus. Dans ce film, il est présenté comme Jésus, victime du pouvoir romain et de son système oppressif. Le récit de cette passion demande aux spectateurs d'aller au-delà de leur préjugés afin de mieux comprendre la vie et le message de Jésus. Faisant références aux actualités politiques internationales, Histoire de Judas montre combien il est nécessaire d'entendre ceux qui sont marginalisés."
( http://www.berlinale.de/en/das_festival/preise_und_juries/preise_unabh_ngigen_jurys/index.html )
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Écrit par : Albert Christophe / | 21/04/2015

BOYCOTTER

> Régulièrement, des films ou des livres médiocres prétendent remettre en cause les fondements de ma foi ou ceux des théories avec lesquelles je travaille.
On dit qu'il est souvent préférable de les voir, de les lire pour se faire sa "propre opinion" avant d'en parler de manière critique soi même... Sur le plan strictement intellectuel c'est vrai... Mais c'est souvent une perte de temps.
Est-ce bien utile après tout, à partir du moment où l'on a obtenu suffisemment d'éléments provenant de personnes fiables et soulignant de manière argumentée et claire l'intention partiale et les racourcis logiques souvent malhonnêtes qui ont été employés par les auteurs de ces visions déviantes ?
D'autant que l'on sait que chaque entrée payée pour aller voir un film, chaque exemplaire d'un livre acheté, sont portés systématiquement au crédit de leurs auteurs, en plus de leur offrir un profit financier dans leur entreprise de mensonge.
Je ne vois qu'une réponse à faire à cela : le boycott et le mépris.
Et en aucun cas la colère ou la violence qui ne font jamais que d'offrir une aura de victime de l'intolérance à des auteurs qui en outre interpretent toujours le scandale qu'ils provoquent comme une caution.
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Écrit par : Psychtus / | 21/04/2015

LES DEUX IMPOSTEURS

> Comme vous le dites : "dans l'axe de la pensée-zéro en la matière (celle de Prieur et Mordillat en 1997-2003)."
Je les ai lus par curiosité intellectuelle.
Pensée-zéro reste gentil. Avec ces deux-là on n'est pas loin du militantisme christianophobe... avec des procédés très contestables, en particulier dans la série documentaire 'Corpus Christi' dans laquelle les témoignages d'exégètes étaient utilsés de façon pour le moins curieuse.
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Écrit par : Patrick Pique / | 21/04/2015

"REHABILITER JUDAS", OU COMMENT DEFAIRE JESUS DE SON IMPREGNATION JUIVE ET DEPOUILLER LA MEMOIRE (juive et universelle) DE L'EGLISE

> Très sympathique sur un plan artistique et intellectuel et dans l'air du temps, très "consensuel" et "Charlie".. Mais le parti-pris de l'auteur oublie deux choses essentielles : la raison pour laquelle l'Evangile rapporte en détail l'arrestation de Jésus et les gestes de Judas qui y participe jusqu'à sa propre fin. Et la Cène (et non pas "Scène"!!) qui est le repas de Séder que Jésus "transmue" en l'offrande de son propre corps, résumant en lui-même tout le mystère et la consistance d'Israël. Cette quasi passation sous silence du Séder des disciples de Jésus est une erreur de mésestime (l'annonce de la trahison de Judas commence là et tient dans l'annonce de la passion de Jésus qui vient en prémisse de sa résurrection (dans la droite ligne de la Halakha) car elle induit que la trahison de Judas serait une "incompréhension" toute humaine et donc forçant violemment l''indulgence.

C'est un message lourd de conséquences qui organise une confusion entre "pardon" qui est un acte proprement divin et créateur et "excuse" qui est un motif de complaisance et un effacement un motif de lâcheté qui ne vivifie pas le fautif mais prolonge le rapport de force en faveur de la victime et non aussi du fautif.
Dans ce film méprisant , où il n'est pas question de "religion" ni même de "miséricorde", mais de la contemplation d'une faute induite par un environnement cultuel et social pesants -métaphore de l'interprétation victimaire du temps présent occidental- l'auteur suggère donc que l'humanité fautive de Judas vient du fait qu'il est lui-même incompris non seulement de ses amis mais qu'il le serait de nous-mêmes qui continuons à considérer son baiser comme un geste d'hypocrisie et un parjure. L'infidélité par excellence.
Il laisse entendre que le jugement ne doit pas avoir cours en oubliant que c'est l'auteur préméditant lui-même qui se jette dans sa propre fosse, non pour échapper à un persécuteur, mais pour s'abriter de sa déception et son dépit, et du jugement supposé de son Rabbi dont les seules paroles à ce sujet sont effacées par le réalisateur. On se demande opportunément pourquoi.

C'est une violente charge contre l'Occident toujours accusé (et aussi auto-accusé) de culpabilisation et d'avilissement du monde oriental (ici en l'occurrence "arabe", c'est-à-dire en fait "algérien ex-colonisé) via le moralisme bourgeois chrétien culpabilisateur). Le judaïsme y est totalement absent, l'auteur ne le connaissant pas et l'ignorant.

Ce film, soutenu par plusieurs autorités catholiques en raison de son esthétique et de l'apparent message d'indulgence et de tolérance qu'il propose traduit de façon relativement efficace et aussi insidieuse un propos courant et de plus en plus séduisant dans la France d'aujourd'hui : ce qui fait la force des disciples de Jésus (juifs pour la plupart), image de la "communauté internationale" partageant les valeurs des droits de l'homme et de la dignité de la personne humaine, c'est la contemplation admirative de sa propre compassion pour nos compromissions et la volonté de faire passer le coup d'épée de Pierre qui tranche le lobe d'oreille du serviteur du Grand Prêtre pour une agression face au simple baiser d'un homme qui ne voulait pas vraiment trahir mais s'acheter un peu de bonheur pour remplacer le vide laissé par la promesse divine qui n'a pas été remplie.
Pour l'auteur, c'est D.ieu le traître : il a laissé mourir son envoyé et laissé Judas au désespoir. C'est un dévoiement du sens biblique du Salut (auquel il ne fait pas référence)

Dans ce film, ce n'est donc pas Judas qui trahit Israël, c'est D.ieu lui-même qui passe à côté de sa promesse puisque non seulement Judas rate le coche du Salut, (c'est pourquoi la Cène y est un banal repas de famille dépourvu de toute "liturgie) mais reste "victime" de notre jugement. D'ailleurs la Torah et le Tanakh n'intéresse pas le réalisateur qui n'y fait pas référence et n'y a pas cherché d'éventuelles équivalences de récit.. Il ignore aussi les psaumes et les prophètes, remplis de références à la trahison, à la condamnation, à la solitude, et, bien au-delà, à la "rétribution" d'un Israël dont la condition d'élection mène souvent à l'angoisse et au vertige de devoir faire face au "monde". De même, il aurait été intéressant de s'attarder sur la composition de la "cohorte" qui procède à l'interpellation et à la mise en question de Jésus (Sanhédrin) et à son arrestation (forces romaines d'occupation, païennes) (cf. Luc ch.22 : vvst 47-48)

Cela n'intéresse pas l'auteur qui mène une barque "humaniste" bien dans l'air du temps. D'ailleurs, Israël n'existe pas. Pas plus que la prière qui est un pur acte rituel et non une composante essentielle et un jalon constant dans le fil biblique sans laquelle on ne peut comprendre l'attente des disciples qui devient torpeur au moment de la crucifixion et absence au moment de la Résurrection (qui est centrale aussi dans la relation entre Judas et son Maître).

A la question de réhabiliter Judas", l'auteur répond : "Et aujourd’hui, on essaie de nous domestiquer et de nous enlever les quelques neurones qui nous restent, alors que nous sommes tellement lumineux " Manque à nommer ce "on" si abscon, et qui rejoint dans l'anonymat de l'accusation qui ne dit pas son nom, un monde vu par les algériens de France mais plus encore par les français déculturés de la vérité de leur histoire, comme une menace mondialisante contre leur propre nostalgie d'un "vivre -ensemble" colonial où chacun restait douillettement chez soi entre les départements de Métropole et ceux du Département algérien d'Outre-Méditerannée que le constantinois était alors.
C'est une œuvre profondément accusatoire, dans toute la poésie de son chant. Elle "réhabilite" habilement le mensonge et le travestissement. Il faut la voir pour comprendre les origines de nos propres doutes et à quoi peut mener le rejet de nos propres contradictions.
Il est inquiétant de voir à quelle vitesse l'Eglise en France via les diocèses et la presse catholique quasi unanimes se jettent sur ce film en l'ayant récompensé par un prix du cinéma "chrétien". L'œcuménisme, là-dedans, ressemble à une macédoine au vinaigre où ce sont surtout les grosses légumes de la hiérarchie et de l'intelligentsia catholiques (qui n'ont jamais été aussi méprisants du peuple et défiants de la théologie- qui cherchent à surnager.

Histoire de Judas - Réalisation : Rabah Ameur-Zaïmeche

(Commentaire sur Facebook à la suite de la présentation du film par la page du Diocèse d'Alsace).
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Écrit par : Jean Taranto / | 30/04/2015

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